Maladies hépatiques liées à la grossesse – FMC-HGE (2024)

Objectifs pédagogiques

  • Connaître les modifications physiologiques des fonctions hépato-biliaires au cours de la grossesse
  • Connaître les principales causes de perturbations du bilan hépatique selon le trimestre de la grossesse
  • Savoir diagnostiquer une cholestase gravidique, évaluer sa gravité et connaître les modalités de prise en charge
  • Savoir diagnostiquer un HELLP syndrom, évaluer sa gravité et connaître les modalités de prise en charge
  • Savoir diagnostiquer une stéatose aiguë gravidique, évaluer sa gravité et connaître les modalités de prise en charge

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Les 5 points forts

  1. Toute augmentation des transaminases doit être considérée comme pathologique au cours de la grossesse et nécessite de rechercher une cause liée ou non à la grossesse.
  2. La cholestase intrahépatique gravidique est définie par un prurit survenant au deuxième ou troisième trimestre de grossesse avec une cytolyse et/ou une élévation des acides biliaires résolutifs après l’accouchement.
  3. La cholestase gravidique augmente le risque de prématurité, de souffrance fœtale et de mort fœtale in utero. L’acide ursodésoxycholique améliore le prurit, les tests hépatiques et le pronostic fœtal sans diminuer le risque de mort fœtale in utero.
  4. Des douleurs abdominales au troisième trimestre de grossesse doivent faire évoquer à une stéatose hépatique aiguë gravidique ou une prééclampsie compliquée d’hématome hépatique.
  5. La stéatose hépatique aiguë gravidique et la prééclampsie compliquée mettent en jeu le pronostic vital fœtal et maternel nécessitant une extraction fœtale rapide.

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Mots-clés

Grossesse ; vomissements ; stéatose ; prééclampsie ; cholestase.

Abréviations

TP : taux de prothrombine
SHAG : stéatose hépatique aiguë gravidique
CIVD : coagulation intravasculaire disséminée

Introduction

La grossesse est un état physiologique modifiant les paramètres hépatiques. Cependant, la survenue d’anomalies des tests hépatiques pendant la grossesse peut être liée à une hépatopathie qu’il faut savoir diagnostiquer, car certaines d’entre elles peuvent mettre en jeu le pronostic maternel et/ou fœtal. On distingue trois groupes d’hépatopathie durant la grossesse : les hépatopathies gravidiques liées à la grossesse de manière spécifique, les hépatopathies aiguës intercurrentes et les hépatopathies chroniques révélées par la grossesse ou découvertes de façon fortuite. Les hépatopathies gravidiques comportent : l’hyperemesis gravidarum, la grossesse intra-hépatique, la stéatose hépatique aiguë gravidique, la prééclampsie et le HELLP Syndrom, la cholestase intra-hépatique gravidique. (tableau 1)

Tableau 1 : Hépatopathies gravidiques

Hépatopathie gravidiqueTrimestre de survenueClinique
Hyperemesis gravidarumPremier trimestreVomissements
Cholestase gravidiqueDeuxième et troisième trimestresPrurit
Stéatose hépatique aigüe gravidiqueTroisième trimestreSignes digestifs : vomissement, douleur abdominale
Prééclampsie et HELLP SyndromTroisième trimestreHTA, douleur abdominale et protéinurie

Tableau 2 : Modifications physiologiques liées à la grossesse

Modifications observées au cours de la grossessePériode de modification (trimestre)
TransaminasesN
TPN
Acides biliaires totauxN
Albumine/ protidesdiminués1, 2 et 3
Bilirubinediminuée1, 2 et 3
GGTN ou diminuées3
PALaugmentées2 et 3
Cholestérol total et TGaugmentés2 et 3

Modifications physiologiques des fonctions hépato-biliaires au cours de la grossesse

Dans un premier temps, il faut savoir que la grossesse en elle-même entraîne des modifications physiologiques de certains tests hépatiques (1,2).

Le taux sérique des phosphatases alcalines s’élève au troisième trimestre de grossesse du fait du passage dans la circulation maternelle d’une isoenzyme placentaire. Les concentrations sériques des protides et de l’albumine diminuent progressivement au cours de la grossesse du fait de l’hémodilution. Le taux sérique des gamma glutamyl transpeptidases diminue modérément en fin de grossesse. La bilirubine diminue modérément dès le premier trimestre de grossesse. Les taux sériques du cholestérol total et des triglycérides augmentent au cours de la grossesse.

À l’inverse, des tests hépatiques sont peu ou pas modifiés au cours de la grossesse et leur modification doit donc être considérée comme pathologique : transaminases, TP, acides biliaires totaux mesurés à jeun. (tableau 2)

En échographie, au cours de la grossesse, les voies biliaires intra et extra-hépatiques ne sont pas modifiées. La vidange vésiculaire ralentit, le volume vésiculaire augmente dès le premier trimestre. Il existe un sludge vésiculaire dans 30 % des cas, qui disparaît le plus souvent dans l’année suivant l’accouchement.

Bilan à réaliser devant des perturbations du bilan hépatique en cours de grossesse

À l’interrogatoire, il convient de rechercher les antécédents personnels et familiaux, la prise de traitements chroniques et l’introduction de nouveaux traitements, phytothérapie, le mode de vie, la prise de toxiques, la notion de contage viral.

L’examen clinique sera complet.

Le bilan biologique sera orienté selon le terme de la grossesse et les hypothèses étiologiques. Il comportera toujours la réalisation d’une bandelette urinaire, une numération formule sanguine, plaquettes, la fonction rénale et le ionogramme sanguin, le bilan hépatique, le bilan de coagulation, les sérologies virales (hépatites virales B, C, A et E, CMV, EBV, toxoplasmose selon le bilan initial), le bilan auto-immun, l’électrophorèse des protéines sériques, le dosage pondéral des immunoglobulines, un bilan martial, et selon le terme fibrinogène, Haptoglobine, LDH, schizocytes, uricémie, un dosage des acides biliaires totaux à jeun si prurit au second ou troisième trimestre.

Une échographie doppler abdominale doit être réalisée pour éliminer un obstacle biliaire plus fréquent en cas de grossesse, une thrombose portale ou un syndrome de Budd Chiari et rechercher des signes d’hépatopathie chronique ou de complications de certaines hépatopathies liées à la grossesse. (tableau 3)

Tableau 3 : Examens complémentaires si bilan hépatique perturbé

Tests sanguinsNFS, plaquettes, ionogramme, urée, créatinine, glycémie, uricémie, TP, acides biliaires à jeun si prurit, Sérologies virales : IgM anti VHA, VHE, sérologie VIH, VHC, AgHbs anticorps anti HBc et Hbs,

Bilan auto immun : EPP, anticorps antinucléaire, FAN, anti LKM1, anti-muscle lisse, anti-mitochondrie de type 2

Examens urinairesProtéinurie, ECBU
ImagerieÉchographie doppler hépatique

Grossesse intra-hépatique

Il s’agit d’une étiologie exceptionnelle de perturbation du bilan hépatique liée à l’implantation extra-utérine intra hépatique d’une grossesse. L’interruption de la grossesse par laparotomie est impérative du fait du risque de rupture hépatique maternelle (3).

Hyperemesis gravidarum (4)

Si 80% des femmes ont des nausées et/ou vomissements lors de leur grossesse, la prévalence de l’hyperemesis gravidarum est de 0,3 à 1% des grossesses (5).

Figure 1 : Score PUQE : quantification des nausées et vomissements lors de la grossesse

Score PUQE : Pregnancy unique quantification of emesis and nausea
1 point2 points3 points4 points5 points
1. En moyenne sur 24 h, combien de temps avez-vous des vomissements ou des nausées ?
0≤ 1 h2-3 h3-6 h> 6h
2. Nombre d’épisodes de vomissement au cours des 12 dernières heures
01 à 23 à 45 à 6≥ 7
3. Nombre d’épisodes de rejet au cours des 12 dernières heures
01 à 23 à 45 à 6≥ 7

Son diagnostic repose sur l’association de plusieurs critères dits critères de Windsor (6) :

  • survenue de nausées et vomissements très importants ;
  • apparaissant au premier trimestre de grossesse (avant la 16ème semaine de grossesse) ;
  • responsables d’une incapacité à boire ou s’alimenter normalement ;
  • et engendrant une diminution de l’activité

Ces symptômes s’accompagnent d’amaigrissement et de troubles hydro-électrolytiques, avec risques d’arythmie, d’encéphalopathie de Gayet- Wernicke par carence en vitamine B1, de myélinolyse centropontine, de carence en vitamine K, de thrombose liée à la déshydratation.

Les complications fœtales peuvent survenir à type de retard de croissance intra-utérin ou de prématurité.

Dans la majorité des cas, les vomissements cessent après la 20ème semaine mais 20% des patientes auront des symptômes durant toute lors grossesse. Les anomalies du bilan hépatique sont fréquentes (environ 40 à 50%) avec majoration des transaminases parfois très importantes (> 20N) et ictère possible. Cependant, aucun cas d’insuffisance hépatique fulminante n’a été rapporté et le bilan se normalise rapidement soit après la 20ème semaine ou après l’accouchement (7).

Sa physiopathologie est complexe, multifactorielle associant une prédisposition génétique, le rôle TSH-like de l’hCG, l’augmentation de la progestérone favorisant le relâchement du sphincter inférieur de l’œsophage, de l’ACTH et de la leptine et des facteurs psychosociaux.

Le traitement repose sur la correction des troubles hydroélectrolytiques, la supplémentation en vitamine B1, les antiémétiques et la renutrition si nécessaire.

Une hospitalisation est proposée lorsqu’au moins un des critères suivants est présent : perte de poids ≥ 10%, un ou des signes cliniques de déshydratation, score PUQE (Pregnancy Unique Quantification of Emesis and nausea) ≥ 13 (figure 1), hypokaliémie < 3,0 mmol/L, hyponatrémie < 120 mmol/L, élévation de la créatininémie > 100 μmol/L, élévation des transaminases > 5N ou résistance au traitement. Le régime alimentaire et le mode de vie seront adaptés en fonction des symptômes. L’algorithme de prise en charge de la société française de gynécologie est résumé dans la figure 2 (8).

Maladies hépatiques liées à la grossesse – FMC-HGE (1)

Figure 2 : Algorithme de prise en charge des nausées et vomissements gravidiques

Cholestase intra-hépatique gravidique

Il s’agit de la plus fréquente des hépatopathies gravidiques puisqu’elle concerne 1% des grossesses dans le monde. Sa prévalence est plus importante dans certaines zones géographiques (Amérique du Sud, Scandinavie) et est comprise entre 2 et 7 cas pour 1 000 accouchements en France (9). Elle augmente avec l’âge, la multiparité, les grossesses gémellaires et en cas d’antécédent de maladie lithiasique, probablement liée à des anomalies des transporteurs biliaires (55 %) (10). Une variation saisonnière avec une augmentation hivernale est observée (37).

La physiopathologie est multifactorielle impliquant deux principaux facteurs :

  • une prédisposition constitutive génétique liée à des anomalies des transporteurs biliaires canaliculaires hépacocytaires notamment MDR3, transporteur canaliculaire des phospholipides codé par le gène ABCB4, responsable notamment dans 15 % des cas de forme familiales (20, 21) ou de BSEP, transporteur canaliculaire des acides biliaires responsable de cholestases aux œstroprogestatifs ;
  • l’effet inhibiteur des stéroïdes sexuels sur leur

Le rôle de la carence en vitamine D est suggérée pour expliquer le caractère saisonnier.

Elle se manifeste par un prurit apparaissant parfois au deuxième et surtout au troisième trimestre de grossesse, à prédominance palmo-plantaire et nocturne pouvant être associé à des lésions de grattage sans cause dermatologique et disparaissant dans les deux mois suivant l’accouchement. Un ictère peut être présent dans les formes sévères (10 % des cas).

Sur le plan biologique, les alanines aminotransférases (ALAT) sont augmentées entre deux et dix fois la normale dans 85% des cas, parfois supérieures à dix fois la normale. Cependant, elles peuvent être normales dans de rares cas et un prurit isolé sans élévation des transaminases au cours de la grossesse ne permet pas d’exclure le diagnostic. Le dosage des acides biliaires totaux à jeun permet de confirmer le diagnostic (diagnostic confirmé si supérieur à 10 micromoles par litre) et a également une valeur pronostique. Un taux supérieur à 40 micromoles par litre est un facteur de risque de complications fœtales (11, 12). Un monitoring du taux des acides biliaires hebdomadaire est impératif en cas de cholestase gravidique. Les gamma-glutamyl-transpeptidases (GGT) sont normales mais leur augmentation est possible dans 30% des cas (13), notamment en cas de mutation du gène ABCB4. Le diagnostic génétique par la recherche des mutations des transporteurs biliaires n’est pas préconisé en routine sauf dans les cas familiaux et cas de suspicion de LPAC syndrom (low phsopholipid associated cholelithiasis). La biopsie hépatique n’est pas indiquée pour le diagnostic de cholestase gravidique, les lésions histologiques correspondent à une cholestase centro-lobulaire sans inflammation ou fibrose hépatique.

Les critères diagnostiques sont résumés comme suit :

Critères diagnostiques de cholestase intrahépatique gravidique
• Prurit sans dermatose
• Acides biliaires totaux à jeun supérieurs à 10 micromoles/litre et ALAT généralement augmentées
• Absence d’autre cause de prurit, cytolyse ou cholestase
• Disparition des anomalies après accouchement

Le pronostic maternel est favorable. Il faut prévenir le risque d’hémorragie de la délivrance par administration de vitamine K. Le risque de prééclampsie ou de diabète gestationnel est multiplié par 3 (38, 39).

Le pronostic fœtal est plus réservé avec risque de prématurité (19 à 60%) et de mort fœtale in utero dans 1 à 2% des cas (15). Le risque de détresse fœtale, bradycardie et de liquide amiotique méconial est augmenté. Dès le diagnostic, un traitement par l’acide urso-désoxycholique à la dose de 10 à 20 mg/kg sans dépasser 1 000 mg doit être introduit, progressivement pour éviter l’augmentation du prurit à l’introduction. Le traitement est maintenu jusqu’à la délivrance. Son efficacité sur le prurit est bonne, mais souvent incomplète et il améliore significativement les tests hépatiques tout en diminuant le taux d’acides biliaires. Il diminue également le risque de prématurité et améliore le pronostic fœtal (14, 15, 16). En cas d’efficacité partielle sur le prurit, l’association à un antihistaminiques H1 (hydroxyzine 25 à 50 mg/j le soir) peut être proposée et en cas de forme très sévère à 300 mg de rifampicine ou dans de rares cas des échanges plasmatiques (40).

En revanche, il n’y a pas de consensus concernant la conduite à tenir obstétricale (9, 15). Un monitoring fœtal et du taux des acides biliaires hebdomadaire est impératif pour guider l’hépatologue et l’obstétricien dans le choix du terme pour la délivrance.

Maladies hépatiques liées à la grossesse – FMC-HGE (2)

Figure 3 : Algorithme de prise en charge de la cholestase aiguë gravidique (Recommandations Foie et grossesse EASL 2023)

En pratique, il est conseillé de déclencher l’accouchement avant le terme dans les formes sévères caractérisée par :

  • un taux sérique d’acides biliaires > 40 µmol/l ;
  • et/ou une bilirubinémie supérieure à 30 µmol/l ;
  • ou des signes de souffrance fœtale (Baisse du rythme cardiaque fœtal et/ou des mouvements actifs fœtaux) (17).

Le collège national français des gynécologues-obstétriciens recommande un déclenchement à partir de 36 semaines d’aménorrhée si le taux d’acides biliaires est supérieur à 100 micromoles/litre. Pour un taux compris entre 40 et 100 µmol/l, un déclenchement est discuté au cas par cas (18). L’EASL (19), dans ses récentes recommandations, a proposé un arbre décisionnel selon le taux d’acides biliaires et le stade de grossesse permettant de guider le clinicien dans ses choix, parfois difficiles (figure 3).

La cholestase intra-hépatique gravidique récidive dans deux tiers des cas lors d’une grossesse ultérieure, la patiente doit en être informée. Elle peut aussi récidiver avec la prise d’une contraception orale (10%). On recommande après l’accouchement d’introduire une contraception orale faiblement dosée ou progestative seule avec un contrôle du bilan hépatique entre 3 et 6 mois.

Le bilan hépatique doit être systématiquement contrôlé 3 mois après l’accouchement. La cholestase intra-hépatique gravidique peut être la première manifestation d’une hépatopathie cholestatique chronique et l’absence de normalisation du bilan doit faire rechercher une maladie biliaire chronique (cholangite biliaire primitive ou une cholangite sclérosante primitive) ou une autre hépatopathie ou des mutations des transporteurs biliaires. La cholestase gravidique est associée à long terme au risque de lithiase biliaire, d’hépatite C, de cirrhose, de cancer primitif du foie, de maladies auto-immunes et de maladies cardiovasculaires (41, 42).

Stéatose hépatique aiguë gravidique (SHAG)

Décrite initialement au début du 20ème siècle (22), la SHAG survient au troisième trimestre de grossesse. Il s’agit d’une maladie rare, touchant environ 1 cas pour 10 000 accouchements. Une étude récente au Royaume-Uni a estimé sa prévalence à un cas pour 20 000 accouchements (23).

La SHAG est une accumulation brutale d’acides gras dans les hépatocytes, liée à une anomalie de la béta-oxydation mitochondriale, parfois liée à un déficit enzymatique en LCHAD responsable d’une insuffisance hépatique aiguë, parfois sévère et potentiellement mortelle pour la mère et l’enfant. Il existe une association avec maladies héréditaires de l’oxydation des acides gras autosomiques récessives pouvant être responsable d’hypoglycémie, de cardiopathie, de myopathie et de mort subite chez l’enfant (25). Il faut donc rechercher systématiquement en cas de SHAG un déficit de la béta-oxydation en dépistant les mutations de la LCHAD. En cas de déficit, l’enfant devra être suivi de manière précoce et suivre un régime diététique adapté pour réduire le risque de complications.

Sur le plan clinique, les symptômes apparaissent au troisième trimestre de grossesse. Nous retrouvons des nausées, vomissements dans 75% des cas, des douleurs épigastriques dans 50% des cas, une polyuro-polydipsie sans diabète dans 10 % des cas, une hypertension artérielle et des céphalées dans 50% des cas, une protéinurie. Un ictère peut être présent en cas de diagnostic tardif. L’évolution se fait vers l’insuffisance hépatocellulaire, accompagnée d’insuffisance rénale aiguë et d’hypoglycémie (26).

Sur le plan biologique, il existe une augmentation des transaminases, une hyper bilirubinémie, une thrombopénie, une hyperuricémie, une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles. L’hypoglycémie est un signe de mauvais pronostic.

En échographie, le foie apparaît hyperéchogène. Il peut y avoir de l’ascite.

La biopsie hépatique peut être discutée, mais doit être utilisée exclusivement en cas de doute diagnostique en raison de sa morbi-mortalité. Histologiquement, une stéatose microvacuolaire centrolobulaire est retrouvée, avec un noyau hépatocytaire en place au centre, et des anomalies mitochondriales.

Les principaux diagnostics différentiels sont l’hépatite virale et le HELLP Syndrom.

Les critères de Swansea peuvent être une aide au diagnostic (27). Une SHAG peut être affirmée si au moins 6 critères sont présents en l’absence d’autres étiologies parmi :

  • Vomissements ;
  • douleurs abdominales ;
  • polyuro-polydipsie ;
  • encéphalopathie hépatique ;
  • hyperbilirubinémie ;
  • hypoglycémie ;
  • augmentation de l’acide urique ;
  • hyperleucocytose ;
  • foie hyperéchogène en échographie ;
  • augmentation des transaminases ;
  • hyperammoniémie ;
  • insuffisance rénale aiguë ,
  • coagulopathie ;
  • stéatose micro-vacuolaire en anatomopathologie.

Les recommandations EASL (19) ont défini des critères de gravité justifiant d’une hospitalisation en réanimation : encéphalopathie, augmentation des lactates, plus de 7 critères de Swansea, un score MELD supérieur ou égal à 30.

Le traitement consiste en l’extraction fœtale en urgence, la correction des troubles de l’hémostase et la prévention de l’hypoglycémie.

Le pronostic a été transformé grâce à l’évacuation utérine précoce. Avant les années 1970, la mortalité maternelle et fœtale était supérieure à 75% (28, 29). Cela reste une maladie grave avec une mortalité maternelle autour de 18% et fœtale autour de 23%. Il existe un risque d’aggravation durant la première semaine du post partum, nécessitant une surveillance maternelle accrue. La transplantation hépatique est à discuter si la dysfonction hépatique persiste (30). L’évolution se fait vers une normalisation des anomalies biologiques en quelques semaines avec guérison sans séquelle hépatique. La patiente doit être informée d’un risque de récidive de 10 % lors des grossesses ultérieures (31).

Prééclampsie et HELLP Syndrom

La prééclampsie (32) est une maladie multi systémique grave, atteignant le système nerveux central, les reins et le foie, responsable d’une morbi- mortalité fœtale et maternelle importante, soit 52 000 décès maternels et près de 500 000 morts fœtales ou néonatales dans le monde actuellement. Elle n’est pas rare, avec une prévalence estimée entre 3 et 5% des grossesses. Les facteurs de risque identifiés sont des antécédents personnels ou familiaux de prééclampsie, la primiparité, un âge maternel supérieur à 40 ans, une obésité, une grossesse multiple et certaines pathologies médicales chroniques comme le diabète, le syndrome des anti-phospholipides et une néphropathie consécutive à une hypertension artérielle préexistante. Elle ne récidive pas systématiquement lors d’une grossesse ultérieure.

Elle est liée à un dysfonctionnement placentaire survenant précocement lors de la grossesse. Un déséquilibre d’origine multifactoriel va conduire à un développement insuffisant des artères spiralées placentaires nécessaires à la croissance fœtale. Il apparaît alors une hypoxie locale et un stress oxydant qui vont générer une inflammation accrue, d’abord locale, puis généralisée au niveau systémique chez la mère. Cette inflammation va être la source d’une activation cellulaire donnant lieu à une atteinte vasculaire endothéliale qui est potentialisée par des facteurs anti-angiogéniques et des microparticules ayant une activité anormalement pro coagulante et pro inflammatoire. Cette physiopathologie est résumée dans la figure 4 (33).

Maladies hépatiques liées à la grossesse – FMC-HGE (3)

Figure 4 : Physiopathologie de la pré-éclampsie, éclampsie et HELLP

La pré éclampsie survient au troisième trimestre de grossesse. Elle est définie (34) par :

  • une hypertension artérielle gravidique systolique supérieure ou égale à 140 mmHg ;
  • et/ou diastolique supérieure ou égale à 90 mmHg ;
  • et une protéinurie supérieure ou égale à 0,3 g/24 h, après 20 semaines d’aménorrhée.

La prééclampsie sévère prend en compte les notions de dysfonction sévère d’organe maternel (hépatique, rénal, neurologique, hématologique) ou la dysfonction placentaire à l’échographie fœtale (hétérogénéité placentaire, hématome rétro placentaire, anomalie doppler artérielle ombilicale, mort fœtale).

Les experts suggèrent de retenir au moins un des critères suivants pour définir la prééclampsie sévère :

  • une HTA sévère (PAS supérieure ou égale à 160 mmHg et/ou PAD supérieure ou égale à 110mmHg), ou non contrôlée ;
  • une protéinurie supérieure à 3 g/24 h ;
  • Une créatininémie supérieure ou égale à 90 micromoles par litre ;
  • Une oligurie inférieure à 500 ml/24 h ;
  • Une thrombopénie inférieure à 100 000 ;
  • Une cytolyse hépatique ;
  • Une douleur abdominale épigastrique et/ou une douleur de l’hypochondre droit en barre persistante ou intense ;
  • Une douleur thoracique, une dyspnée, un œdème aigu du poumon ;
  • Des signes neurologiques.

Il faut retenir que les signes cliniques peuvent être variés (douleur abdominales, vomissements, céphalées, dyspnée, douleur thoracique, troubles visuels…).

Les complications maternelles de la prééclampsie sont l’éclampsie (crises convulsives liées à l’hypertension intracrânienne), l’hémorragie cérébrale, l’insuffisance rénale, le décollement placentaire, le HELLP Syndrom, et chez le fœtus/le nouveau-né une grande prématurité, un retard de croissance intra-utérin.

L’atteinte hépatique de la prééclampsie atteint 20 à 30% des patientes. Elle est caractérisée histologiquement par des phénomènes ischémiques et hémorragiques liés à des dépôts de fibrine au niveau des sinusoïdes, d’une hémorragie péri-portale, d’une nécrose cellulaire hépatique pouvant aller jusqu’à des lésions d’infarctus. Le risque est l’évolution vers l’hématome intra-hépatique, le plus souvent sous-capsulaire, avec pour risque sa rupture. Le diagnostic est difficile si l’hypertension artérielle est absente ou modérée. Il faut donc l’évoquer en cas de douleurs abdominales au troisième trimestre de grossesse. L’atteinte hépatique se traduit par des transaminases élevées jusque dix fois la normale. Les tests hépatiques se normalisent dans les deux semaines suivant l’accouchement. La survenue d’une atteinte hépatique est un facteur de mauvais pronostic maternel et fœtal.

Le HELLP Syndrom est une complication de la pré éclampsie associant une hémolyse avec schizocytes et augmentation des LDH, une augmentation des transaminases et une thrombopénie. Sa prévalence est de 6 pour 1 000 grossesses mais il survient dans 10 à 20% en cas de pré éclampsie sévère. Il résulte d’une altération de l’activation des plaquettes, d’un emballement cytokinique pro inflammatoire associés à des vasospasmes segmentaires et des lésions endothéliales vasculaires.

Bien qu’étant une complication de la prééclampsie, il peut apparaître avant l’hypertension artérielle ou en l’absence de tout signe de prééclampsie dans 10 à 20% des cas et son tableau clinico- biologique, parfois incomplet est parfois difficile à diagnostiquer précocement. Il peut également apparaître dans 30% des cas en post partum. Il faut l’évoquer devant toute douleur abdominale ou vomissement du troisième trimestre de grossesse et la recherche d’un hématome hépatique par une échographie doit être systématique. Le diagnostic peut également être difficile entre prééclampsie avec HELLP Syndrom et stéatose hépatique aiguë gravidique. L’importance est l’extraction utérine (35).

Certains éléments résumés dans le tableau 4 peuvent aider à la discrimination entre la SHAG et le HELLP Syndrome.

Les complications maternelles sont majorées par rapport à la prééclampsie sévère sans HELLP Syndrom : éclampsie, hématome rétro placentaire, CIVD, insuffisance rénale aiguë, œdème pulmonaire, hématome sous-capsulaire du foie.

Tableau 4 : Diagnostic différentiel entre SHAG et HELLP Syndrom : éléments cliniques et biologiques à prendre en compte

HELLPSHAG
Douleurs, vomissementsTardifs+
HTA+++/-
Polyurie-polydipsie+
ThrombopéniePrécoceTardive
CoagulopathieTardive+
Acidose+
Perturbation bilan hépatique+++
Insuffisance rénale+/-++
Hyperbilirubinémie+/-++
Hypoglycémie++
Protéinurie+

Figures 5 et 6 : Prise en charge de la prééclampsie (Recommandations formalisées d’experts SFAR et CNGOF, 2022)

Maladies hépatiques liées à la grossesse – FMC-HGE (4)

Agent anti-hypertenseur IVModalités et précautions d’utilisationStratégie de titration par bolus IV (Indication : PAS ? 180 mmHg et/ou PAD > 120 mmHg)Perfusion continue IVSE

Labétalol (TRANDATE®)

• A privilégier en première intention

• Hors contre-indications : (asthme, BPCO, bradycardie,

présence ou antécédent de trouble de conduction intra- cardiaque, antécédent de réaction d’hypersensibilité)

1er bolus : 20 mg en IV sur >2 minutes

si échec*

2ème bolus : 40 mg en IV sur >2 minutes

si échec*

3ème bolus : 80 mg en IV sur >2 minutes

si échec*

4ème bolus : 80 mg en IV sur >2 minutes

si échec*

poursuite labétalol 1 mg/kg/h IVSE et ajout d’un 2e antihypertenseur IVSE

0.5 à 1 mg/Kg/h

Objectif : PAS < 160 mmHg et PAD < 110 mmHg

Nicardipine (LOXEN®)

• A privilégier en seconde intention ou en association

Bolus de 0,5 mg en IV sur >2 minutes à répéter 3 fois si échec*

si échec*

Poursuite nicardipine 4 mg/h IVSE et ajout d’un autre antihypertenseur IVSE

0.5 à 4 mg/h

Objectif : PAS < 160 mmHg et PAD < 110 mmHg

Urapidil (EUPRESSYL®)

• A privilégier en seconde intention ou en association

Bolus de 6,25 à 12,5 mg en IV sur >2 minutes à répéter 3 fois si échec*

si échec*

Poursuite urapidil 50 mg/h IVSE et ajout d’un autre antihypertenseur IVSE

10 à 60 mg/h

Objectif : PAS < 160 mmHg et PAD < 110 mmHg

*échec = persistance d’une PAS k 180 mmHg et/ou d’une PAD 1’120 mmHg à 10 minutes (dès obtention de la PAS < 180 mmHg et de la PAD < 120 mmHg, controlées à 10 minutes, poursuite du traitement antihypertenseur IVSE continu à la dose minimale efficace pour PAS < 160 mmHg et PAD < 110 mmHg)

Le traitement de la prééclampsie repose sur les anti-hypertenseurs et le sulfate de magnésium dans certains cas. La prise en charge est résumée dans les figures 5 et 6.

Le traitement est l’extraction fœtale dès maturité fœtale ou si complications maternelles (36). Le risque de récidive est faible pour les grossesses ultérieures.

Conclusion

Toute augmentation des transaminases durant la grossesse doit être considérée comme pathologique. Les hépatopathies gravidiques doivent être connues et diagnostiquées car certaines peuvent mettre en jeu le pronostic maternel et/ ou fœtal. La cholestase intrahépatique gravidique est la plus fréquente. La stéatose hépatique aiguë gravidique est la seule pouvant être responsable d’une insuffisance hépatocellulaire. Des douleurs abdominales au troisième trimestre de grossesse doivent faire suspecter une stéatose hépatique aiguë gravidique ou une prééclampsie compliquée. Cependant, une cause liée ou non à la grossesse doit toujours être évoquée et la normalisation des anomalies des tests après l’accouchement surveillée.

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